Quebec Lawn Tennis Club, 1886

Le 08/07/2021 0

Dans Les clubs

Le premier d'une longue série

La pratique du tennis s'est faite au début sur des terrains privés ou dans des endroits occasionnels. Il suffisait de trouver une pelouse en bonne condition pour y installer un filet et tracer quelques lignes. Le besoin pour les joueurs de se grouper et de mettre en place des installations permanentes a toutefois facilité le développement d'une institution sociale autant que sportive pour l'encadrer : le club. La région de Québec va en compter au delà d'une centaine au vingtième siècle. Le premier à entrer en opération, le Quebec Lawn Tennis Club, va connaître une histoire particulière. Nous allons voir ici sa première "vie", soit entre les années 1886 et 1896.

Dames tennis 1890

Des dames font une pause durant une partie de tennis sur un court improvisé près de la Grande Allée, vers 1890 (BANQ-Québec, fonds Garneau)

Des encouragements et une organisation officiels

Un événement déclencheur va ouvrir la porte pour l'enracinement d'un club de tennis dans un site permanent : un encouragement officiel. La chose se fait assez discrètement, dans un bref entrefilet publié par le Chronicle du 10 septembre 1885:

« We are glad to notice that this fine game is patronized by the family of the Speaker of the Legislative Assembly upon the lawn in front of the Parliament House. »

La famille du « speaker » de l'Assemblée législative – on dirait aujourd'hui le Président de l'Assemblée nationale – encourage donc la pratique du tennis sur les pelouses en face du Parlement.

Replaçons-nous dans le contexte. L'édifice du Parlement de Québec dont il est question est celui que l'on connaît aujourd'hui. Sauf qu'en 1885, il est tout neuf et vient juste d'être mis en service pour remplacer l'ancien parlement, situé parc Montmorency, détruit par le feu. L'aménagement des terrains avoisinants n'est pas encore complété, mais il y a eu de profonds changements: la pente menant au fossé, formant auparavant le glacis qui protégeait les remparts, a été nivelée pour donner un espace plat devant le Parlement. Dans le projet original, l'architecte Taché avait prévu un aménagement planté d'arbres, ce qui n'a jamais été fait selon ses plans. Donc, l'endroit recouvert de pelouses qui se prêtait bien à la pratique du tennis.

Les structures se mettent en place peu après. Un club de tennis est en opération dès l'année suivante, même si on ne sait pas exactement quand ni dans quelles circonstances il a été fondé. Le 12 août 1886 le Chronicle informe ses lecteurs que le « Quebec Lawn Tennis Club » a organisé une rencontre avec des joueurs choisis parmi l'équipage du HMS Bellerophon, un bateau de la marine anglaise en rade de Québec. Cette formule de rencontres amicales entre les clubs de la ville et les équipages des navires britanniques n'est pas unique au tennis; elle touchait presque tous les sports; le journal mentionne des matches de ce genre au rugby, au cricket, au tir, presque tous les étés(1).

Une image de la haute société de la ville

Cette même année, le répertoire Cherrier de la ville de Québec fait mention pour la première fois de l'existence du Quebec Lawn Tennis Club; on peut donc supposer qu'il a été créé dans l'année. L'annuaire détaille en plus la composition de son conseil d'administration(2). On voit un appareil important qui groupe pas moins de quinze personnes, incluant des dames patronnesses (« lady patrons »). Au-delà du nombre, c'est le statut social et l'occupation des personnes, toujours fournis par le Cherrier, qui sont significatifs. On trouve au premier rang de celles-ci Madame L. F. R.Masson, épouse du lieutenant-gouverneur, Lady Caron, épouse de Sir Adolphe, ministre de la Milice, Madame Routier, épouse du juge Adolphe-Basile. À remarquer, les noms sont présentés dans l'ordre ci-dessus et non dans l'ordre alphabétique, indiquant ainsi la préséance sociale des personnes.

Le comité des dames patronnesses se complète dans le monde des affaires. Viennent en effet Mrs Rae, épouse d'un des propriétaires de la compagnie de navigation Allen, Mrs R. H. Smith, Mrs John Sharples et Mrs G. H. Thomson, épouses de marchands de bois et enfin Mrs MacPherson, dont le mari est agent d'assurances et de bateaux à vapeur. Les marchands de bois sont en force : en plus des époux de trois dames patronnesses, le président et un commissaire du club, respectivement R. R. Dobell et J. F. Burstall sont des leurs. Le conseil d'administration est complété par un ecclésiastique, le révérend Lennox Williams, qui agit comme vice-président, et par William Ashe, arpenteur-géomètre, directeur de l'Observatoire de Québec, secrétaire-trésorier.

Richard R. Dobell

Le président de ce premier club, qui va officier pendant une bonne dizaine d'années, mérite quelque attention. Né à Liverpool (Angleterre) en 1837, Richard Reid Dobell s'installe à Québec en 1857 dans le but de faire le commerce du bois. Il réussit à monter une affaire suffisamment importante pour être considéré par ses contemporains comme l'homme d'affaires le plus influent du Canada. En 1896, il est élu dans Québec-Ouest sous la bannière libérale et admis au cabinet de Wilfrid Laurier. Après avoir travaillé pour le développement économique du Canada en général et de la ville de Québec en particulier, il mourra en Angleterre en 1902 des suites d'une chute de cheval(3).

Autour de ce personnage de premier plan, d'autres personnalités du monde politique et militaire vont se retrouver associées au club, comme membres du conseil d’administration ou participants. 

Par exemple, on voit que plusieurs membres de la famille Joly de Lotbinière, qui a été premier ministre puis chef de l'Opposition à Québec dans les dix années précédentes, sont inscrits dans le tournoi annuel de 1888(4). Le lieutenant-colonel C. E. Montizambert, commandant de la batterie B, accède à la vice-présidence en 1889(5). En 1889, une dame H. Mercier entre au comité des dames patronnesses(6). Il s'agit sans nul doute sans nul doute de l'épouse de Honoré Mercier, premier ministre de la Province de Québec. En 1892, on y trouve une dame Jules Tessier(7).

Ce Jules Tessier est lui aussi un personnage considérable: avocat, membre des conseil d'administration de plusieurs compagnies de chemin de fer et de banques, échevin de la ville de Québec, député de Portneuf de 1886 à 1903, orateur de l'Assemblée législative de 1897 à 1901 et sénateur à partir de 1903. L'insertion du couple dans le monde du tennis serait d'autant plus vraisemblable que Jules Tessier, sur le modèle de Joly de Lotbinière, a épousé en 1882 une femme d'origine anglophone, Fannie Barnard, fille de l'avocat Edmond Barnard(8).

Richard Dobell

Richard R. Dobell, 1837-1902, important commerçant de bois de Québec et premier  président du premier club de tennis (BANQ-Québec, fonds Livernois)

Des installations permanentes

Le tennis devant les murs de Québec, 1890

Le mur des fortifications devant le parlement vers 1890; le bâtiment de gauche est le premier club house du club de tennis
(BANQ-Québec, fonds Magella Bureau)

Le club a disposé assez tôt après sa mise en opération d'un chalet (club house) mis à la disposition des membres. Le journal y fait référence durant le premier tournoi annuel tenu en 1887 (Voir notre chronique Premier tournoi de tennis à Québec, 1887). On peut voir cette modeste bâtisse sur des images d'époque : un édicule adossé au mur des fortifications, enterré sous la neige en hiver, dominé dans cette saison par le château de glace du carnaval.

Pour animer ces activités, il faut des joueurs, des membres. Malheureusement, on ne dispose pas de données internes sur le nombre d'inscrits au Club. Il faut plutôt recourir à la couverture médiatique. Le Chronicle publie les tirages au sort et les résultats des tournois de 1887, 1888, 1890 et 1894(9). En compilant ces listes, on peut enfin avoir une certaine idée du contingent de joueurs et joueuses durant cette période. On peut aussi supposer que ces données sont incomplètes puisque des membres pouvaient se contenter de pratiquer le sport sans participer aux compétitions.

Porte st louis 1894 livernois

Le "club house" sous la neige durant le carnaval de 1894 (BANQ-Québec, fonds Livernois)

 

Tournois du QLTC

Tableau 1: Nombre de participants et participantes aux tournois du QLTC

Au tournoi de 1887, qui est aussi ouvert aux participants du Canada, 19 joueurs sont inscrits chez les messieurs dans la section « membres ». Il y a 6 participantes chez les dames. Le nombre de joueurs est similaire en1888 et 1890, soit respectivement 17 et 16 chez les messieurs, 7 et 9 chez les dames.  Les inscriptions de 1894 sont moins élevées chez les messieurs. Donc, trois années sur quatre rassemblent deux douzaines de joueurs et joueuses.

Modestes, ces chiffres? D'abord, aussi partiels, ils ne peuvent avoir valeur de statistiques et donnent seulement la possibilité de se faire une vague idée du groupe de joueurs. Si réduits paraissent-ils, ils reflètent surtout la structure de la population de l'époque. Aux recensements de 1881 et 1891, la population de la ville de Québec dépasse à peine les 60 000 personnes, dont vraisemblablement une large majorité de travailleurs ou de familles modestes qui n'ont ni les moyens ni le temps de s'adonner aux sports(10).

1897-1904 : éclipse

Après cette lancée qui a duré dix ans, le tennis entre dans une phase plus discrète. Le Chronicle est presque muet sur les activités du Quebec Lawn Tennis Club en particulier et sur le tennis dans la région de Québec en général entre 1895 et 1904. Une seule mention sur l'assemblée générale du Quebec Lawn Tennis Club en juin1896(11), puis « silence radio » jusqu'en 1902, où encore une fois il est prévu une assemblée pour organiser l'ouverture de la saison, annonce restée sans suite(12). Durant toutes ces années, d'ailleurs, les annuaires de Québec ne font aucune mention de l'existence d'un club de tennis quelconque.

Bien sûr, l'absence de couverture médiatique ne signifie pas que le club a cessé ses activités ni que le tennis est disparu de la région de Québec. D'ailleurs, l'intérêt des lecteurs est toujours là puisque le Chronicle continue à suivre les tournois disputés au Canada, aux États-Unis et en Angleterre. Mais, coïncidence troublante, la publicité sur le matériel de tennis qu'on voyait dans les pages du journal connaît le même genre d’éclipse.

Qu'est-ce qui pourrait expliquer ce ralentissement apparent dans les activités de tennis? On ne dispose pas de documentation relative au club qui puisse nous éclairer là-dessus. Cependant, encore une fois, l'iconographie vient nous donner une hypothèse. Une photographie de Notman, datée de 1898, nous fait croire que les activités du club de tennis ont été perturbées durant cette période(13).

Les murs de Québec sans le tennis

Le mur des fortifications devant le parlement, vers 1898: le club house et les terrains de tennis ont été
remplacés par des plantations d'arbres (BANQ-Québec, fonds Magella Bureau)

L'image de Notman offre une vue des espaces devant le Parlement. Ceux-ci présentent un aspect fort différent de celui de 1895: aucune construction ne s'élève désormais contre le mur, plus de trace des terrains de tennis. À la place, les pelouses entre le rond-point et la muraille sont plantées d'arbres. Ce qui est certain d'après cette image, c'est que le Quebec Lawn Tennis Club ne dispose plus des installations qui étaient les siennes depuis 1886 ou 1887.

Que s'est-il passé? A-t-on voulu réaliser le plan original de Taché? Plusieurs rapports annuels du ministère des Travaux publics font effectivement état de la plantation d'arbres autour du parlement durant ces années(14). Les rapports ne précisent pas l'espace touché par les plantations, mais celui de 1895/1896 parle d'un choix d'essences assez varié:

« Les terrains voisins de l'Hôtel du Gouvernement ont reçu des plantations d'arbres qui augmentent chaque année en intérêt et en importance. On y voit des ormes, des chênes, des érables, des peupliers, des marronniers, des tilleuls, une jolie variété de bouleaux et quelques massifs d'épinettes. On se propose de compléter ces plantations et d'y faire figurer toutes les essences de la forêt canadienne. »

C'est tout de même un retournement de situation le club. Il semble bien qu'à partir de 1896, le « patronage » accordé par le speaker de l'Assemblée en 1885, qui ressemblait à une permission d'occuper le terrain, ne tient désormais plus. On va revoir du tennis devant le Parlement et retrouver un Quebec Lawn tennis Club. Mais pour cela, il faudra franchir le passage dans le vingtième siècle.


À suivre dans une prochaine chronique.

Notes

1. Voir par exemple, Quebec Morning Chronicle (QMC), 17 août 1886, p. 1, « Sporting News – The Rifle ».
2. Almanach des adresses Cherrier de la ville de Québec... 1885/1886. Québec, A. B. Cherrier, 1886. L'identité des membres du club vient de la liste alphabétique du Cherrier.
3. Les éléments de la biographie de Dobell proviennent du Dictionnaire biographique du Canada.
4. QMC, 7,8 et 10 septembre 1888; pour la biographie de Joly de Lotbinière, voir le site de l'Assemblée nationale; http://www.assnat.qc.ca/fr/deputes/joly-de-lotbiniere-henri-gustave-3737/biographie.html.
5. Cherrier, 1889-1890.
6. Cherrier ,1889-1890.
7. Marcotte, 1891-1892.
8. Voir la biographie de Jules Tessier sur le site de l'Assemblée nationale: http://www.assnat.qc.ca/fr/deputes/tessier-jules-5511/biographie.html.
9. Voir QMC, 5 septembre 1887, op. cit., 6 septembre 1887, op. cit., 7 septembre 1888, p. 2, « Sporting News – Lawn Tennis », 8 septembre 1888, p. 2, « Sporting News – Lawn Tennis », 10 septembre 1888, p. 2, « Sporting News – Lawn Tennis », 10 septembre 1890, p. 2, « Lawn Tennis » et 15 juin 1894, p. 2, « Sporting News – Lawn Tennis ».
10. Recensements du Canada, 1891; la population de Québec est précisément de 62 446 pour 1881 et 63 090 pour 1891.
11. QMC, 3 juin 1896, p. 2, encart publicitaire « Quebec Lawn Tennis Club ».
12. QMC, 9 juin 1902, p. 3, « Sporting News - Tennis ».
13. Musée McCord, Fonds Notman, photo 3184, Vue de la ville de Québec depuis les édifices du Parlement, QC, vers 1898.
14. Voir Ministère de la Colonisation et des travaux publics, Rapport 1893-1894, Rapport 1894-1895 et Rapport 1895-1896.

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