Une seigneurie de la Côte-du-Sud

Le 08/09/2021 0

Dans La seigneurie L'Islet-du-Portage

Un nom: L'Islet-du-Portage

Le régime seigneurial implanté en Nouvelle-France a fortement marqué le paysage de la vallée du Saint-Laurent en réglant l'orientation des terres à la perpendiculaire par rapport aux rives du fleuve. Pourtant, chaque seigneurie prise individuellement n'a pas nécessairement laissé d'empreintes qui auraient survécu jusqu'ici. Rarement trouvera-t-on le souvenir de l'emplacement du moulin banal. Occasionnellement, on peut voir un manoir, et encore, il s'agit le plus souvent d'un édifice reconstruit récemment ou difficilement conservé du dix-neuvième siècle.


On pourrait encore plus difficilement repérer aujourd'hui sur le terrain les limites de ces seigneuries, tant de nouvelles zones religieuses, administratives ou politiques ont découpé son territoire ou s'y sont superposé pour effacer sa réalité: paroisses catholiques, municipalités civiles, circonscriptions électorales provinciales et fédérales, municipalités régionales de comtés, la liste est longue.


La seigneurie a été le premier - et au début la seule – entité socio-économique découpant le territoire sur lequel se sont installées les premières populations dans la vallée du Saint-Laurent, détenant une grande partie des pouvoirs jusqu'à celui de la justice. Donc, cette institution détenait une influence considérable sur la vie quotidienne.


Malgré cela, l'historiographie, surtout l'historiographie contemporaine, est loin d'avoir fait le tour de la réalité des seigneuries concédées sous le régime français. Surtout, les observations sur celles-ci ont été souvent englobées dans des monographies paroissiales ou des biographies des personnages locaux. L'intérêt d'une étude de la seigneurie prise comme entité ne nous paraît cependant pas négligeable compte tenu de son importance pour le développement et la vie économique d'une communauté de peuplement. Le cas de l'Islet du Portage en est une illustration. À l'origine du peuplement de Saint-André-de-Kamouraska, cette seigneurie est aussi devenue sous le régime anglais le siège d'une industrie de construction navale. C'est ce parcours que nous allons tenter de retracer.

Pourquoi ce nom?

À environ cent quatre-vingt kilomètres à l'est de Québec, sur la rive sud du fleuve Saint-Laurent, on aperçoit tout près du bord un monticule rocheux, long d'environ six cents mètres, hérissé de conifères. Vu de loin, il paraît cerné par les eaux du fleuve, comme une île qui se serait échappée de l'archipel de Kamouraska. Mais en approchant, on aperçoit une langue de terre qui vient l'amarrer au rivage et offrir un passage à pied sec même pendant les plus hautes marées. Cette presqu'île marque l'entrée ouest du village de Saint-André de Kamouraska. Pourtant, même reliée à la terre ferme, elle ne semble pas vraiment pas faire partie de celle-ci. C'est pourquoi, dans le vocabulaire local, elle est depuis toujours appelée « l'îlette ».

Ilet du portage

Vue aérienne de Saint-André de se son îlet (Photo, site internet de la municipalité de Saint-André)

Toute cette partie de la Côte-du-sud paraît condamnée à se tourner vers le fleuve: une arête montagneuse abrupte barre l'horizon sud à moins d'un kilomètre de la rive et semble interdire l'accès aux terres de l'intérieur.


Pourtant, les amérindiens, dans leur connaissance intime du terrain, avaient identifié des points de passage possibles. Ils les utilisaient pour couper vers l'intérieur du continent lors de leurs migrations saisonnières entre la vallée du Saint-Laurent, où ils passaient l'été, et la région de la baie des Chaleurs et de l'Acadie, où ils échappaient au terrible climat hivernal du fleuve. Plusieurs voyageurs, les missionnaires des débuts de la Nouvelle-France en particulier, ont raconté comment ils abordaient le rivage quelque part à l'est de « l'îlette » pour utiliser le réseau des rivières et lacs jusqu'à la rivière St-Jean. Évidemment, la route n'était pas uniforme, et il fallait dès le départ traîner en « portages » canots et bagages pour rejoindre un autre plan d'eau à l'intérieur(1).


Cette habitude nomade a marqué la toponymie de la région en donnant son nom à la paroisse qui voisine St-André à l'est: Notre-Dame-du-Portage. Jointe au repère que constitue ce sommet rocheux sur le bord du fleuve, elle a donné son nom à la seigneurie du régime français qui est à l'origine du peuplement de St-André: L'Islet-du-Portage.

 

[Section suivante: le seigneur Pierre Bécart de Grandville]

Notes

1. 1. Sur les déplacements des amérindiens entre la vallée du Saint-Laurent et la baie des Chaleurs, voir Adrien Caron, De Canada en Acadie; le grand portage, La Société historique de la Côte-du-sud, La Pocatière, 1980, 119 p.

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