Tournoi rotation 1966

Le 29/12/2021 0

Dans Tournois et trophées

Deuxième édition du tournoi rotation: 1966

[Section précédente: Le tournoi rotation 1965]

Après le succès de la formule rotation avec des joueurs de calibre international en 1965, le club des Employés civils renouvelle l'expérience l'année suivante. Le tournoi se tiendra du 15 au 21 août.

Encore une fois, les organisateurs n'éprouvent pas de difficultés à trouver des joueurs intéressés. Dès le moi d'avril, on annonce que les six participants au tournoi rotation sont déjà confirmés. Il y a quatre nouvelles figures : Roy Emerson d’Australie, Manuel Santana d'Espagne, Jan Eric Lundqvist de Suède et Cliff Drysdale d'Afrique du sud; Rafael Osuna du Mexique et Robert Bédard du Québec sont de retour(1).

En dépit de quelques problèmes éprouvés par certains joueurs et de parties reportées à cause au mauvais temps, cette deuxième édition sera encore une fois un succès d'assistance et les organisateurs assurés de le répéter facilement en 1967.

Un « Wimbledon condensé »

 

Pour donner une idée de cette cuvée, précisons que Emerson est considéré comme « le nom le plus prestigieux du tennis amateur », tandis que  Lundquist est classé parmi les sept meilleurs au monde(2). Santana, pour sa part, vient de remporter le tournoi de Wimbledon et Drysdale a fait en septembre précédent la finale des Internationaux des États-Unis(3). On parle donc de « Wimbledon condensé », tellement ces joueurs sont des habitués de la classique britannique(4).

Il y a tout de même quelques points d'interrogation. On a appris au début de l'année que Lundquist, blessé, a dû être opéré au genou, mais il affirme qu'il sera en condition au mois d'août. « J'espère que c'est vrai, dit Claude Dufresne des Employés Civils, parce que l'on tient à avoir des athlètes en forme, surtout au prix qu'ils nous coûtent(5). » Un des participants s'est tout de même longuement fait tirer l'oreille avant d'accepter, comme on va le voir.

[À droite: affiche publicitaire pour le tournoi rotation. On y voit une nouveauté qui va devenir la règle dans le sport : l'événement est maintenant commandité, une présentation de la Brasserie Dow.
Le Soleil, 3 août 1966]

Annonce du tournoi rotation 1966

Santana, Lunsquist et Bédard au tournoi rotation

Manuel Santana, Éric Lunsquist et Robert Bédard durant le tournoi rotation 1966. (Le Soleil, 16 août 1966)

Emerson « l'insaisissable »

La présence d'Emerson, en effet, résulte d'efforts répétés de la part des organisateurs et d'une aide inespérée de la part d'un tennisman québécois, ce que raconte le chroniqueur Claude Larochelle :

« Montréal et Vancouver n’en reviennent pas de l'exploit qu'a réussi Québec en enlevant l’insaisissable Roy Emerson d’Australie pour le tournoi-rotation Dow... Un club important de la capitale de la Colombie-Britannique et un autre encore plus connu de la métropole canadienne ne croient pas encore qu’Emerson sera à Québec en personne pour défendre sa réputation de meilleure raquette amateur au monde... Les deux solides organisateurs de Montréal et de Vancouver ont tout mis en oeuvre depuis quelques mois pour rassembler dans un tournoi semblable ces géants de la raquette, mais ils se sont heurtés sur une foule d’obstacles, des obstacles tels qu'ils ne peuvent imaginer que les casse-cou du Civil aient pu les vaincre. Comment ont-ils réussi ce tour de force?

En dépit de sa solide réputation de club sérieux, l'embauchage d'Emerson ne fut pas une sinécure pour le « Civil ». L’assaut qualifié de téméraire en direction du meilleur joueur de tennis amateur au monde a été donné l’automne dernier. Lettres, émissaires, téléphones, câblogrammes, toute l’armada a été lancée sur lui. Le printemps dernier, le « Civil » n'avait pas encore eu le moindre signe de vie de l'as australien. Les messages avaient eu sur Emerson l’effet de l’eau sur le dos d'un canard. Toujours au printemps, au cours d'une assemblée de tennis à l'échelle provinciale tenue à Montréal, le publicitaire du « Civil » Claude Dufresne, fit part à François Godbout des tentatives vaines en direction d'Emerson. « Je connais Emerson personnellement, je puis lui téléphoner pour vous, s’offrit Godbout. Je pense que je puis le faire plier. » Godbout obtint immédiatement la communication avec l’Afrique du Sud où évoluait Emerson. « J’ai bien reçu les messages de Québec, répondit l’Australien, mais je croyais que les dépenses de voyage qu’on m'offrait étaient pour moi et Fred Stolle. Si c’est seulement pour moi, je suis intéressé et j’accepte(6). »

Emerson, Santana et Osuna au tournoi rotation

De gauche à droite: le fameux revers de Roy Emerson, Manuel Santana reçoit les félicitations de Rafael Osuna et Osuna esquissant
un geste de dépit après avoir été déjoué par Santana (Le Soleil, 17 août 1966)

Santana survole le tournoi

Visionnaire ou bon observateur, Lundquist avait donné avant le tournoi son analyse des forces en présence. À son avis, Santana était meilleur que Emerson sur terre battue, où le jeu plus lent lui donnait le temps de préparer ses stratégies. Cette affirmation venait toutefois ébranler les prévisions, alors que l'australien était considéré par les organisateurs comme le grand favori.

Comme à leur habitude, les Employés civils n'ont rien ménagé pour accommoder le plus grand nombre de spectateurs possible. Des aménagements spéciaux ont été faits et une estrade supplémentaire de 550 places a été installée pour porter le nombre de sièges à 2100(7).

À cinq heures le lundi 15 août, le tournoi commence et déjà Santana impressionne la foule avec des coups marqués par la finesse et la précision. Il réduit à l'impuissance Robert Bédard en deux sets de 6-1 et 6-3. En soirée, on a droit à une surprise. Lundquist, comme pour donner raison à son analyse sur les faiblesses de Emerson en terre battue, remporte la victoire contre celui-ci, 5-7, 6-1, 11-9(8).

Emerson se reprend le lendemain en écrasant Rafael Osuna 6-3, 6-2(9). Mais pendant ce temps, Santana continue sa marche victorieuse. Le mercredi, il se débarrasse facilement de Cliff Drysdale 6-3, 6-2, et le lendemain l'emporte en trois sets de 6-2, 4-6, 6-4 sur Emerson qui était arrivé à Québec en favori(10). Le vendredi, c'est au tour de Lundquist de subir le même sort et de s'incliner, non sans offrir une résistance opiniatre, 8-6, 7-5(11). Le dimanche, en grande finale, l'espagnol confirme sa première place en battant à nouveau Drysdale, cette fois en trois sets 6-3, 3-6, 6-1. Au total, il aura dominé la compétition en remportant ses cinq parties.

Cliff Drysdale au tournoi rotation

Le sud-africain Cliff Drysdale
(Le Soleil, 18 août 1966)

La déception du tournoi : Emerson

La grande déception du tournoi aura été l'australien Roy Emerson, qui se fait remarquer par sa mauvaise humeur et son jeu erratique. Le « meilleur amateur du monde » a été défait en entrée de tournoi par Lundquist qui n'y était jamais parvenu jusque-là. Le voyage de 16 heures la veille entre Stockholm et Québec explique-t-il cette contre-performance? Emerson a l'honnêteté de reconnaître que son adversaire avait fait le même trajet que lui. Mais durant la semaine, il se plaint de l'éclairage(12), de la qualité des balles et du fait que la surface accorde des rebonds plus élevés qui l'empêchent de pratiquer sa tactique de se précipiter au filet à la première occasion. Durant son match contre Drysdale, le samedi, il s'adresse aux organisateurs après avoir envoyé une énième balle dans... le filet : « Vous avez du l'arroser à six heures ce matin! », leur a-t-il lancé, en parlant de la surface.

Lundquist tente de prendre sa défense et, sans convaincre personne, avance qu'il est peut-être affecté par le récent décès de sa mère. Cependant, contre toute attente et malgré ses sautes d'humeur, l'australien conclura qu'il est satisfait de son séjour à Québec et même prêt à revenir s'il est invité(13).

« Nous n'aurons pas de mal.... »

Le classement final du tournoi, édition 1966, est donc le suivant :

1er Santana, 5 victoires;
2e Drysdale, 3 victoires, 2 défaites;
3e Lundquist, 3 victoires, 2 défaites;
4e Emerson, 2 victoires, 3 défaites;
5e Osuna, 2 victoires, 3 défaites;
6e Bédard, 5 défaites.

Avec la qualité des participants et le succès de foule, les journaux font une bilan enthousiaste du tournoi :

« Au cours des années, de grands joueurs de tennis ont été vus à l'oeuvre à Québec mais le tournoi-rotation de cette année a dépassé tout ce que l'on avait vu à venir jusqu'à aujourd'hui...

En résumé, le deuxième tournoi-rotation des Employés Civils a été une réussite complète sur toute la ligne et les amateurs de beau tennis ont déjà hâte au troisième(14). »

Le public a d'ailleurs été au rendez-vous : on estime que 2600 personnes ont assisté au match Santana-Emerson et qu'on en a refusé 1500. Les perspectives semblent donc excellentes pour la prochaine année.

[À droite: Manuel Santana brandit la coupe remise au vainqueur du tournoi. Le Soleil, 22 août 1966]

Santana et la coupe du tournoi rotation 1966

Un nuage est cependant passé au-dessus du projet d'édition 1967, alors que les Employés civils songeaient à en faire un « omnium » et l'ouvrir aux professionnels aussi bien qu'aux amateurs. Durant le tournoi, des représentants de Montréal se trouvaient en ville afin de recruter des joueurs pour l'an prochain. En plus de l'Exposition universelle, la métropole sera en effet l'hôte du championnat canadien. Cela risquerait de drainer les joueurs étrangers et de tuer dans l'oeuf le prochain tournoi rotation à Québec(15).

Heureusement pour les Employés civils et pour Québec, Emerson n'est pas le seul à envisager une participation l'année suivante. Tous les joueurs, à l'exception de Santana qui réserve sa décision, se sont déjà dits prêts à revenir. « Nous n'aurons pas de mal à organiser notre tournoi de l'an prochain » conclut Claude Dufresne, publiciste des Employés civils(16).

Nous verrons dans une prochaine chronique si tout s'est passé aussi bien que prévu.

 

[Section suivante: Le tournoi rotation 1967]

NOTES

1. Le Soleil (LS), jeudi 28 avril 1966.
2. LS, 21 juillet et 20 mai 1966.
3. LS, 28 juillet 1966.
4. LS, 28 juillet 1966.
5. LS, 14 mai 1966.
6. LS, 15 août 1966; François Godbout est un joueur de tennis originaire de Waterloo en Estrie; il avait fait partie de l'équipe canadienne de la coupe Davis de 1959 à 1964.
7. Ibid.
8. LS, 16 août 1966.
9. LS, 17 août 1966.
10. LS, 18 et 19 août 1966.
11. LS, 20 août 1966.
12. Les parties en soirée étaient sous un éclairage spécial pour satisfaire aux exigences de la télévision. La formule du « round Robin » avait été proposée par Jean Marois justement pour convaincre Radio-Canada de retransmettre le tournoi; voir Le Soleil, 15 août 1968.
13. LS, 22 août 1966.
14. LS, 29 août 1966.
15. LS, 19 août 1966.
16. LS, 31 août 1966.

Québec tennis tournoi rotation Employés civils

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