Tournoi Rothmans 1973

Le 13/10/2022 0

Dans Tournois et trophées

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Le World Championship Tour revient à Québec pour une troisième année en 1973, toujours avec la commandite du cigarettier Rothmans. Il aura lieu du 1er au 7 octobre, encore au PEPS de l'université Laval et non au Colisée, contrairement à ce qui avait été annoncé d'abord. Trente-deux joueurs vont se disputer un enjeu total de 50.000$(1). Cependant, même si des vedettes locales sont pour la première fois sur les rangs, ce sera la dernière édition du World Tour à Québec.

Un précédent

 

Le tournoi Rothmans fait désormais partie de la série dite « Grand prix », qui compte 44 compétions, encadrées par la Fédération internationale de tennis. Pour une première fois dans l'histoire des tournois Rothmans, il y aura des participants canadiens et même un héros local. En effet, les noms de Robert Bédard, de Sherbrooke, Keith Carpenter de Montréal et Réjean Genois, de Québec, sont inscrits, annonce le président du comité d'organisation, Jean-Yves Laurin. Le nom d'un quatrième canadien sera dévoilé plus tard. Ces joueurs seront admis au tableau principal sans avoir à passer par la ronde d'élimination.

« C'est un précédent et ça ne manquera pas de plaire à la majorité des amateurs, d'autant plus qu'ils sont très bien connus », commente Laurin. Au surplus, les dates du tournoi ont été planifiées de façon à éviter qu'il ne soit concurrencé par d'autres événements sportifs comme c'était le cas l'année précédente avec les séries de la coupe Stanley. Pour ajouter à l'attrait, on  mettra à la disposition du public un total de 368 sièges au prix réduit de 2$, qui seront vendus le jour même des rencontres.

Le nouveau président sera entouré de Gaston Goulet, ex-président, Jean Marois, vice-président, Yves Potvin, trésorier, de même que Claude Bergeron, Marcel Sirois, Paul-Denis Trudel directeurs et Michèle Bédard, secrétaire(2).

Réjean Genois et JY Laurin

Réjean Genois et le président du comité organisateur Jean-Yves Laurin. Photo Le Soleil, 17 août 1973.

Les 26 joueurs admis au tableau principal
Nom Pays
Réjean Genois Canada
Robert Bédard Canada
Mike Belkin Canada
Keith Carpenter Canada
Mark Cox Grande-Bretagne
Roger Taylor Grande-Bretagne
Gerald Battrick Grande-Bretagne
J. Lloyd Grande-Bretagne
Graham Stilwell Grande-Bretagne
Bob Carmichael France
Onny Parun Nouvelle-Zélande
R. Crealy Australie
K. Warwick Australie
Ove Bengston Suède
Bjorn Borg Suède
Barry Moore Afrique du sud
P. Cramer Afrique du sud
T. Ryan Afrique du sud
Frew MacMillan Afrique du sud
Aroon Rahim Pakistan
Marty Riessen États-Unis
Frank Froehling États-Unis
Jim Connors États-Unis
Clark Graebner États-Unis
S.Faluk États-Unis
V. Gerulaitis États-Unis
Source: Le Soleil, 27 septembre 1973

 

 

 

Le tournoi a fait peau neuve puisqu'il sera un « omnium », c'est-à-dire que les amateurs comme les professionnels seront admis. On sait déjà que le champion 1972, Marty Riessen sera présent, de même que deux jeunes athlètes prometteurs : Bjorn Borg, 17 ans, et Jimmy Connors, 20 ans(3). Les amateurs seront un groupe de cinq suédois dont Kjell Johansson, classé troisième dans son pays et très respecté par Borg, présentement numéro un(4).

 

 

Évidemment, Jimmy Connors, qui progresse à grande vitesse dans le tennis mondial, sera au premier rang des favoris. Mais pour le public, il y aura un attrait supplémentaire : un autre québécois, Richard Legendre, a été invité à participer aux qualifications et même reçu un « bye » pour le premier tour de celles-ci. Il sera parmi parmi les 18 qui devront faire les qualifications avec entre autres les canadiens Pierre Lamarche, Don McCormick, Tom Beardsley et C. Burr ainsi que les cinq suédois amateurs(5).

« Une mise en scène sens dessus-dessous »

Au moment de commencer le tournoi, l'organisation doit encore une fois jongler avec les remplacements. Plusieurs joueurs, dont cinq américains sur les six prévus se portent manquants, ce qui laisse seulement 9 candidats pour les 6 postes disponibles. Cela porte Jean-Yves Laurin à prendre la résolution d'exiger pour la prochaine année des engagements écrits, ce qui n'était pas le cas jusqu'ici. Robert Bédard fait tout de même remarquer à leur défense que les participants malchanceux aux qualifications doivent assumer leurs dépenses s'ils n'ont pas l'appui d'un commanditaire. Heureusement, les cinq amateurs suédois répondent présents, au grand soulagement du président(6).

Pourtant, les malheurs ne sont pas terminés. La première journée de compétition devient « une journée de fou ». Le calendrier des parties est bouleversé parce que plusieurs joueurs étrangers ne sont pas encore arrivés. Il y a des trous dans la programmation à tel point que les organisateurs doivent improviser un double impliquant Bédard et Belkin contre Genois et Chris Burr (un canadien non qualifié) pour donner quelque chose à voir aux spectateurs. Cependant, le match de Legendre a bel et bien lieu. Malheureusement pour lui, parce qu'il voulait seulement entrer dans le tournoi, il a manqué de « tract » [sic] et perdu 6-2, 6-4 contre l'anglais John Lloyd.

Comme pour tourner le fer dans la plaie des responsables après cette journée difficile, Le Soleil fait remarquer que le tournoi ne sera pas télévisé. Radio-Canada et le comité organisateur s'entendent pour constater qu'on s'y était pris trop tard et qu'il ne restait plus de temps d'antenne disponible. Malgré cela, il semble qu'il aurait pu en être autrement, sans une mésentente qui s'est créée au moment où le World Championship Tour est venu remplacer le tournoi rotation. En causant avec le réalisateur Jean-Claude Houde, le journal a appris que la Société d'état avait décidé de verser les droits de télédiffusion directement au Championship Tour, plutôt qu'au comité organisateur québécois comme auparavant. Celui-ci, Gaston Goulet en tête, a mal pris la chose et le climat s'est envenimé avec Radio-Canada. La société a senti qu'elle n'était plus appréciée dans le cadre de l'événement, même si, de l'avis de Houde, elle avait « contribué à maintenir le tennis en vie à Québec pendant des années »(7).

Le directeur des relations publiques de Rothmans Claude Bergeron expliquera par la suite que les réseaux étaient désormais tenus de passer par le comité international pour conclure un contrat de télédiffusion. Comme pour désamorcer la question de mésentente entre la société d'état et l'ancien comité organisateur, il ajoute que, cette fois, Radio-Canada a simplement choisi d'aller plutôt capter le tournoi à Toronto.

 

Richard Legendre

 

Malgré son chandail aux couleurs du Québec, Richard Legendre n'a pas connu de succès. Photo Le Soleil, 2 octobre 1973.

Connors fait un « show »

 

Réjean Genois

 

Réjean Genois durant son match contre le néo-zélandais Onny Parun. Photo Le Soleil, 3 octobre 1973.

En ce mardi, les spectateurs auront droit à un match excitant et contesté. Le britannique Graham Stilwell, en dépit de ses 27 ans, a forcé Jimmy Connors à sortir tout son talent. Il s'est incliné en trois manches de 6-4, 4-6, 7-5. De son côté, Réjean Genois n'a pas réussi à contrôler son jeu et s'est incliné 6-1, 6-2 devant le néo-zélandais Onny Parun. Il regarde désormais en avant et se prépare déjà à aller jouer pour la coupe Davis en Jamaïque. Un dernier joueur originaire du Québec, Robert Bédard est lui aussi défait; le suédois Ove Bengston l'a emporté contre lui 6-1, 8-6(8).

Genois et Legendre ont une dernière occasion de s'exécuter devant le public en faisant un double contre Jimmy Connors et Marty Riessen le mercredi. La foule les encourage chaleureusement et applaudit avec enthousiasme leurs bons coups. Ils doivent toutefois s'incliner 6-4 et 6-2 devant la force des services de Connors et l'expérience de Riessen. Malgré cela, ils prennent bonne note des ovations reçues. « Par leurs réactions, les gens nous ont prouvé qu'ils voulaient nous voir continuer », remarquait Genois après le match. Seulement voilà, par manque de moyens, ils n'auront pas la possibilité de participer à de fortes compétitions durant un bon moment. C'est ce qu'ils regrettent : « Si seulement, on s'occupait du tennis au Canada en nous accordant des bourses de perfectionnement ou autrement Qu'on me donne seulement le cinquième du salaire d'un joueur de hockey professionnel, puis je vais m'arranger avec ça. Je ne demanderai pas d'automobile en plus », précise encore Genois.

Connors, lui, révèle sa vraie nature et laisse les journalistes sur leur faim quand ils veulent l'interviewer. Après quelques remarques convenues, il disparaît dans l'ascenseur en arborant son plus beau sourire. C'est sur le terrain qu'il parle le plus fort : puissant service, réactions de dépit, démonstration de talent, il donne un spectacle haut en couleurs. « Connors paraît prendre à peu près tout avec un grain de sel, mais au rythme qu'il maintient il ira loin sous le grand chapiteau du tennis pro... » prophétise le chroniqueur Jacques Dallaire(9).

La fortune ne sourit pas autant au jeune prodige suédois Bjorn Borg. Le jeudi, il est surpris 6-2 et 6-2 par son compatriote Kjell Johansson, qui était issu des qualifications. Ainsi s'écroule le rêve des organisateurs de voir une finale Borg-Connors à la fin du tournoi... Tout n'est pas perdu, cependant. La majorité des favoris sont toujours dans la compétition(10).

Bjorn Borg

Bjorn Borg pendant et après sa partie perdue contre Johansson. Photo Le Soleil, 5 octobre 1973.

« L'heure est à la réflexion »

À partir du samedi, la phase finale commence à se dessiner. Johansson, le tombeur de Borg, a complètement décontenancé l'américain Clark Grebner et doit rencontrer en semi-finale le champion 1972 Marty Riessen. De son sôté, Connors a rendez-vous avec le britannique Mark Cox considéré comme un logique « aspirant » à la finale. Du coup, il se présente une possibilité selon laquelle Connors et Riessen, qui forment équipe dans le double, fassent les frais des deux finales(11)!

Effectivement les américains vont participer aux deux épreuves. Connors, comme prévu, remporte le simple, mais Riessen et lui doivent s'incliner en double devant Bob Carmichael et Frew MacMillan.

Encore une fois, avec la fin du tournoi arrive le temps des bilans. Un chroniqueur résume sèchement la question : « Sur le strict plan tennis, des matches, dans l'ensemble, intéressants. Pour le reste, l'heure est à la réflexion. »

Encore une fois, le niveau des assistances plafonne. On a compté 10.117 spectateurs payants, soit 337 de moins que l'année précédente. C'est toujours loin des 18.000 espérés. Heureusement, ce chiffre n'est pas le seul critère d'évaluation pour le commanditaire.

Le président du comité organisateur, Jean-Yves Laurin, tente quelques explications pour ce succès mitigé : l'absence de « gros noms » du tennis, l’éclipse des cameras de télévision, le piètre début du tournoi lui-même, alors que plusieurs vedettes ont atteint Québec sur le tard, le manque d'ambiance lors des compétitions (sans qu'il soit question ici de jeter la pierre à l’Université Laval), à cause de la configuration de l'emplacement choisi dans l'enceinte du Pavillon de 1'éducation physique et des sports, le trop grand nombre de matches qu’entraîne la tenue d'un tel tournoi, etc... Au comité, certains - mais pas tous – jonglent avec la possibilité de laisser tomber les parties de double, qui sont appréciées du public mais allongent la durée du tournoi.

Du côté du commanditaire, Roland Daneault, directeur général de Rothmans au Québec, précise que leur premier souci est de voir la courbe des ventes six mois après l'événement. C'est d'abord ce qui les motive à investir 100.000$ dans celui-ci. Au surplus, il y a la réponse du territoire. Par exemple, Rothmans ne retournera vraisemblablement pas à Vancouver à cause de l'accueil plutôt froid des médias. À Québec, au contraire, la collaboration de la presse « dépasse tout ce qu'on peut rencontrer dans le pays »(12). Compte tenu de cette analyse, y a-t-il une chance pour un prochain Rothmans à Québec?

Hélas, cette édition 1973 est la dernière de la tournée du World Championship Tour à Québec. Le Rothmans international ne reviendra pas l'année suivante, ni après. Cela clôt un cycle de presque dix ans durant lequel des passionnés de tennis, ingénieux et tenaces, ont réussi à réunir en ville la crème du tennis mondial. Mais le sport a changé, de même que les conditions de présentation des matches et des tournois, rendant presque impossible la rentabilisation de ce genre d'événement.

Heureusement pour la ville et pour les amateurs, les organisateurs n'abandonneront pas et vont continuer à travailler pour amener à Québec d'autres événements de tennis. Ainsi, dès l'année suivante, on voit Jean Marois faire des démarches pour que les parties de la coupe Davis impliquant le Canada soient jouées dans la capitale(13). Il y aura encore de grandes compétitions de tennis en ville.

Jimmy Connors

Toujours souriant, Jimmy connors salue la foule après sa victoire en finale. Photo Le Soleil, 9 octobre 1973.

NOTES

1. Le Soleil (LS), 29 juin 1973.
2. LS, 17 août 1973.
3. LS, 24 septembre 1973.
4. LS, 22 septembre 1973.
5. LS, 27 septembre 1973.
6. LS, 1er octobre 1973.
7. LS, 2 octobre 1973.

 

Accueil

8. LS, 3 octobre 1973.
9. LS, 4 octobre 1973.
10. LS, 5 octobre 1973.
11. LS, 6 octobre 1973.
12. LS, 9 octobre 1973.
13. LS, 20 août 1974.

 

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