Tennis et rationnement

Le 24/03/2022 0

Dans 150 ans de tennis à Québec

Le tennis en temps de guerre : où sont les balles?

L'entrée en guerre du Canada en 1939 aura durant plusieurs années des effets directs sur la vie de tous les jours. Pensait-on qu'elle en aurait aussi sur la pratique sportive, au-delà de l'enrôlement militaire de joueurs et, éventuellement, de la possibilité qu'ils y laissent leur vie?

Le problème pour bien des activités, dont le tennis, viendra du rationnement. À mesure que le pays s'installe dans l'économie de guerre, les ressources et les matières premières qui servent à la production de matériel militaire sont de plus en plus en demande, créant un effet de rareté. Le gouvernement canadien décrète donc des restrictionspour maintenir l'effort de guerre et contrôler l'inflation.

Ces décisions auront un effet qui va largement dépasser la seule période du conflit et même contribuer à créer de nouvelles habitudes.  À cause du contrôle sur la production des balles de tennis, les organisateurs de tournois ne pourront plus les fournir en totalité aux participants, une pratique qui va continuer après la fin de la guerre.

Rareté du caoutchouc

Dès le début de la guerre, soit en septembre 1939, le gouvernement fédéral crée la Commission des prix et du commerce en temps de guerre (« Wartime Prices and Trade Board ») pour contrôler l'inflation et diriger la production industrielle en fonction des besoins militaires. C'est elle qui va établir les systèmes de plafonnement des prix et de rationnement des produits(1).

Après deux années de guerre, les restrictions se multiplient et commencent à faire effet dans la population. Ainsi, au printemps de 1942, l'Association provinciale de tennis (PQLTA) convoque une assemblée spéciale pour planifier la saison étant donné que les perspectives sont « vagues » à case de la rareté du caoutchouc(2). Celle-ci a un impact sur la production des balles de tennis(3).

Cependant, le club des Employés civils se permet une vue positive lors de son assemblée annuelle. Gérard Lévesque, le nouveau président, constate avec satisfaction qu'il n'y a « pas encore de restriction sur les balles et les filets ». Mieux, le rationnement sur l'essence pourrait inciter les citadins à passer l'été en ville, plutôt que de pratiquer leur tennis en villégiature(4). De son côté, l'Association de tennis des États-Unis prévoit une saison presque normale pour les amateurs, même si les meilleurs joueurs ont déserté les courts, et malgré la disette de caoutchouc. D'ailleurs, un seul tournoi important a été annulé(5).

Ces belles perspectives seront de courte durée. Toujours en avril 1942, alors que la PQLTA prépare son assemblée annuelle régulière et on s'attend à ce qu'elle contremande les principaux tournois de la saison. La cause : les restrictions sur les balles(6).

 
 

La fabrication rationnée

Les organisateurs de tournois seront donc contraints d'adopter de nouvelles règles de fonctionnement. Pour la coupe Château, le championnat double masculin de Québec qui se tient en juillet, les joueurs sont priés d'apporter leurs balles puisque l'organisation fournira celles-ci seulement à partir des quarts-de-finale(7). Le tournoi Rondeau, championnat simple masculin de Québec, hausse la barre : les balles seront fournies seulement en semi-finales(8).

Avec le prolongement du conflit, la situation ne s'améliore pas. On apprend au congrès annuel de la Canadian Bicycle and Sporting Goods Dealers Association, en mars 1943, qu'une décision gouvernementale fédérale suspend la production des balles de tennis et de golf pour la durée de la guerre. L'Association a toutefois créé un comité spécial qui essayera d'obtenir des autorités une révision de celle-ci(9).

Heureusement pour les sportifs, l'association des marchands connaît du succès dans sa démarche. Alors que sa section québécoise prépare son congrès, un des directeurs annonce avec fierté que la fabrication des balles a finalement été autorisée, mais à hauteur de 50% des ventes de 1942(10). Finalement, une précision est apportée : ce sera bel et bien 50%, mais par rapport aux quantités fabriquées et non à celles des ventes(11).

C'est déjà mieux que pas de fabrication du tout, mais il se pose quand même des problèmes d'approvisionnement. La ligue interclub Boisseau, qui groupe six équipes de la région de Québec, devait commencer ses activités le mercredi 7 juillet. On annonce le report au vendredi 9 pour cause de manque de balles(12).

L'année 1944 s'ouvre sous de meilleurs auspices. Le Comité de tennis de Québec, qui gère le classement des joueurs et l'organisation des ligues dans la région, affirme à sa réunion de mars que « La situation est beaucoup meilleure que l'an dernier. La balle sera de bonne qualité et il y en aura en plus grande quantité(13). » De plus, la PQLTA annonce que les manufacturiers de balles pourront doubler leur production(14). À Montréal, on s'attend à une bonne saison. Les balles, sans être revenues au même niveau qu'avant la guerre, sont de meilleure qualité. La plupart des clubs ont même déjà reçu leur quota alors qu'on est encore au mois de mai(15).

Retour vers une vie normale

Quand la guerre entre dans sa dernière année, les choses reviennent graduellement plus près de la situation d'avant 1939. Selon le club des Employés civils, les quotas de balles ont été doublés par rapport à l'année précédente(16). Il faudra tout de même attendre bien après l'armistice, soit l'année 1948 pour qu'on reprenne une distribution systématique de balles lors des compétitions. Et encore, cela ne vaut que pour les événements de premier plan. Par exemple, les participants au tournoi provincial ouvert, tenu en juillet au club des Employés civils, s'étaient vus remettre un total de 1500 balles(17). Même chose pour le Rondeau, le championnat senior de Québec : pour la première fois depuis le déclenchement de la guerre, les organisateurs précisent que les balles seraient fournies « pour toute la durée » du tournoi(18).

En contrepartie, bien d'autres organisations maintiendront la pratique pendant toutes les années 1950 et même au-delà. C'est le cas pour les championnats des clubs, les tournois juniors ou le tournoi de l'université Laval, entre autres(19). L'exemple le plus patent est celui du tournoi intermédiaire qui attendra jusqu'à 1960 pour fournir les balles à partir de la première ronde(20). Pourtant, la guerre est alors terminée depuis plusieurs années et le retour à la pleine production devrait s'être fait complètement.

Deux facteurs peuvent expliquer ce retard à revenir à la situation « normale ». Tout d'abord, les restrictions, tout comme les raretés, ne disparaissent pas aussitôt l'armistice signée. Elles vont se poursuivre au-delà de 1947. D'autre part, le coût de de la vie va progresser de façon appréciable durant cette période(21).

On peut par exemple comparer le prix des balles avant et après le conflit pour s'en rendre compte. En 1936, la Compagnie Paquet annonce des balles au prix de 45 cents l'unité(22). Or en 1952, on trouve dans Le Soleil une annonce du magasin Pollack : 3 balles pour 1,65$, soit 55 cents l'unité(23). Cela représente une hausse appréciable : plus de 20 %. Pourtant, les coûts d'inscription aux tournois n'ont pas varié entre l'avant et l'après-guerre. Le coût de participation au tournoi Rondeau était de 1,50$ par joueur en 1935(24). En 1947, le club Belvédère demandait la même somme de 1,50$ à ceux qui souhaitaient s'inscrire à son tournoi invitation(25).

En gardant les tarifs au même niveau, les organisations devaient nécessairement faire des économies sur les dépenses des tournois. Voilà un bel exemple d'une pratique, engendrée par les nécessités du contexte de la guerre, qui s'est continuée par la suite et est restée dans les moeurs. Encore aujourd'hui, plusieurs tournois locaux comptent sur les balles des participants dans les premières rondes, justement dans le but de maintenir les frais d'inscriptions moins élevés.
 

Annonce de balles 1936

L'Action catholique, 23 mai 1936

 

Annonce de balles 1952

Le Soleil, 6 septembre 1952

NOTES

1. Sur les contrôles et rationnements, voir par exemple Yves Tremblay, « La consommation bridée - Contrôle des prix et rationnement durant la Deuxième Guerre mondiale », Revue d'histoire de l'Amérique française, vol. 58, numéro 4, printemps 2005.
2. Encore à cette époque, l'association provinciale de tennis du Québec conservait son appellation anglophone : Province of Quebec Lawn Tennis Association (PQLTA).
3. L'Action catholique (AC), 1er avril 1942.
4. AC, 22 avril 1942.
5. AC, 24 avril 1942.
6. AC, 29 avril 1942.
7. AC, 28 juillet 1942.
8. AC, 19 août 1942.
9. AC, 9 mars 1943.


 

10. AC, 2 avril 1943.11. AC, 20 avril 1943.
12. AC, 7 juillet 1943.13. AC, 29 mars 1944.
14. AC, 24 avril 1944.15. AC, 16 mai 1944.
16. AC, 11 avril 1945.
17. AC, 7 août 1948.
18. AC, 10 août 1948.
19. Voir par exemple AC 6 juillet 1950, 18 juin 1952, 12 août 1955.
20. Le Soleil (LS), 10 juin 1960.
21. Voir Tremblay, op. cit.
22. AC, 23 mai 1936.
23. LS, 9 septembre 1952.
24. AC, 13 août 1935.
25. AC, 23 août 1947.

tennis guerre rationnement balles

Ajouter un commentaire

Anti-spam