Vêtements de tennis

Le 16/06/2021 0

Dans 150 ans de tennis à Québec

La tenue vestimentaire au tennis : mode ou éthique?

Contrairement à des sports comme le hockey ou le football qui exigent des vêtements de protection, le tennis peut se jouer en « tenue de ville » comme on disait à l'époque. Cependant, il s'est vite dégagé quelques règles dont certaines s'apparentent plus à la mode et d'autres à l'éthique ou même à la morale.

Les magasins de vêtements se mettent au tennis

 

Tennis Jerseys, Glover

Publicité de Glover, Fry & Co.
pour des vêtements de tennis
(Quebec Chronicle, 1er juin 1886)

On sait qu'en Angleterre, des parties ont eu lieu assez tôt sur les pelouses royales, ce qui supposait pour les participants une étiquette, comme dans toutes les cours d'Europe. La mode a rapidement suivi.
Ainsi, la maison Glover de Québec annonce le 1er juin 1886 dans le Chronicle un arrivage de chandails (« tennis jerseys »). Plusieurs autres marchands emboîtent le pas. Renfrew de Québec annonce avec les habillements de l'été, des « lawn tennis hats » de différentes couleurs. Viennent ensuite Morgan, puis Darlington qui offre des pantalons (« trouserings »). Enfin, WM Jacques complète la gamme avec des « souliers de tennis », appellation qui va devenir pour longtemps synonyme d'espadrilles. 

 

 

 

Chapeaux renfrew

Annonce de chapeaux pour l'été
par la maison Renfrew
(Quebec Chronicle, 30 juin 1888)

Vêtements de tennis Morgan

Morgan annonce des vêtements de tennis (Quebec Chronicle, 2 juin 1890)

Pantalons de tennis Darlington

Darlington annonce des pantalons de tennis (Quebec Chronicle, 12 juin 1893)

Chaussures de tennis Jacques

Annonce de chaussures de tennis (Quebec Chronicle, 4 juin 1901)

Les images prises sur des courts au tournant du siècle montrent d'ailleurs des dames portant robe longue et chapeau, et des hommes en pantalons longs. La plupart du temps, tout ce monde est vêtu de blanc. Ci-dessous, une image prise à l'Ile d'Orléans vers 1915. On est loin des costumes de tennis des années 2000...

 

Tennis à l'Ile d'Orleans 1915

Tennis à l'Ile d'Orléans vers 1915 (Collection Musée McCord)

Les années folles

La décennie 1920 apporte toutefois quelques changements. Cette période qui a gardé le surnom des « années folles » impose un style vestimentaire même dans les sports. La jupe des dames remonte au-dessus de la cheville, comme on peut le voir dans les publicités qui sont de plus en plus souvent illustrées.

Robe de tennis 1923

Robe de tennis annoncée par la Maison Blanche
(Quebec Chronicle, 12 juillet 1923)

Pour les hommes, cependant, aucune évolution; le long pantalon blanc reste obligatoire même quand le sport est récupéré par la bière pour des fins publicitaires.

 

Bière Molson

Annonce de bière Molson
(Quebec Chronicle, 12 juillet 1923)

Un danger: le short!

Il arrive cependant que les joueurs cherchent à s'affranchir de ce code. En 1930, l'Association française du tennis amateur avertit ses membres que non seulement le pantalon blanc est de rigueur dans les tournois, mais aussi qu'ils sont tenus de garder la chemise, quelle que soit la chaleur. Pas question de combiner tennis et bain de soleil (1).

La contestation n'est pas près de s'arrêter. Pendant près de quatre ans, à la veille de la Deuxième guerre, un véritable débat va se faire à Québec au sujet d'un nouvel article de vêtement : le short. Le 20 juin 1935, le chroniqueur sportif de L'Action catholique lance le débat. Dans un texte intitulé « Notre opinion », il insiste sur le fait que le port des pantalons courts fait perdre aux joueurs en élégance ce qu'ils gagnent en confort :

« Nos joueurs, pas tous, mais une assez forte proportion, ont adopté la culotte courte pour figurer sur les courts. Nous voulons aujourd'hui émettre franchement notre opinion sur cette vogue qui tend à s'établir en permanence au sein de nos clubs. Si nous nous plaçons en premier lieu au point de vue de l'esthétique, nous n'hésitons pas à dire que le jeu du tennis y perd considérablement. Rien n'est plus élégant que de voir des jeunes gens en élégantes culottes blanches exécuter les mouvements les plus gracieux. Nous comprenons que le joueur est plus à l'aise quand ses mouvements ne sont pas gênés par les jambes du pantalon, mais il y gagnerait en élégance s'il sacrifiait quelque peu son aise. Au point de vue de la tenue, il n'est pas besoin d'insister. »

Pire! S'il fallait que le short soit accepté pour les hommes, les dames voudraient certainement les imiter :

« La mode, jusqu'ici, n'a de partisans que chez les hommes. Nous avons une peur bleue que le sexe faible qui a une tendance si forte à imiter le sexe fort adopte le même costume. Ce serait une catastrophe! La femme qui se distingue est toujours charmante. La femme bien vêtue est toujours jolie même sur les courts! Prenons donc garde! Nous connaissons plusieurs clubs de tennis qui ont prévu le cas et qui se sont immédiatement empressés d'afficher dans leur chalet l'avis suivant : « Le port de la culotte courte est strictement défendu pour les dames. » Voilà qui est bien. Pourquoi tous nos clubs n'afficheraient-ils par le même avis? »

On pourra penser que le Québec de l'époque et son journal à tendance catholique étaient le dernier rempart contre la propagation de la tenue courte. On trouve cependant le même genre de discussion dans les clubs de tennis américains.  Par exemple, la ville de Kansas avait annoncé en 1933 qu'elle ne tolérerait plus les « culottes courtes », de crainte que les femmes « ne décident un jour d'imiter l'autre sexe »(2).

Pourtant, même dans la conservatrice Angleterre, le pantalon court n'est pas totalement banni. On voit cette même année le canadien Marcel Rainville s'amener sur le terrain de Wimbledon pour son match contre le champion Fred Perry en portant le pantalon court.

Marcel Rainville

(L'Action catholique, 6 juillet 1935)

Le short vs l'esprit chrétien

L'Action revient à la charge la saison suivante en ajoutant un nouvel argument : « l'esprit chrétien » :

« Nous ne favorisons pas ce costume pour la gent masculine. C'est contre les règles de l'esthétique et de la dignité.
Pour les dames, nous avons d'autres raisons. Il n'y a rien de plus charmant qu'une joueuse de tennis en belle robe blanche qui évolue sur les terrains. Par contre, nous ne voyons rien de plus disgracieux qu'une jeune fille revêtue d'un costume aussi désinvolte. Cette joueuse perd son charme de jeune fille, donne le spectacle d'une véritable légèreté et s'expose à être sévèrement jugée. Quelle est la jeune fille modeste et sérieuse qui consentirait à revêtir un maillot de bain pour figurer sur un terrain de tennis et braver les regards des jeunes gens? Les « shorts » ne sont pas plus modestes que le maillot de bain. C'est du snobisme pur et simple et du snobisme de la pire espèce qui inspire une pareille tenue.
Faisons du sport, mais selon l'esprit chrétien(3). »

Les dames engagées dans le tennis prennent aussi position. Madame Fernande Lemieux, présidente de la section féminine du club de tennis de la Voirie en rajoute au micro de la station de radio CKCV : « C'est un costume de plage et non un costume de tennis. La femme ne gagnera rien à s'exhiber de cette façon sur nos courts de tennis(4). »

La saison se termine sur la perspective d'interdiction du vêtement mal-aimé : la ville va demander aux clubs de ne plus tolérer ce « costume moderne » ou « accoutrement ultra-moderne » à la suite d'une lettre des Comités paroissiaux d'action catholique(5).

Pour la saison 1937, les tenants du costume traditionnel ont l'impression d'avoir presque gagné la partie. Le chroniqueur de L'Action ne cache pas sa satisfaction :

« Ce costume écourté pour les joueuses et les joueurs de tennis semble être moins populaire dans nos clubs de tennis cette année. La majorité de nos clubs ont décrété que ce costume n'était pas convenable et ils en ont banni le port sur leurs courts.
Les dames viennent de former une ligue de tennis. Si les dirigeantes de ce groupement décidaient unanimement de défendre ce costume, nous sommes sous l'impression qu'elles donneraient une nouvelle preuve du sérieux qu'elles apportent dans leur travail.
Nous l'avons écrit (plusieurs ont fait la moue) ce costume n'a rien d'élégant et il n'est pas recommandable. Si les joueuses américaines veulent le porter, laissons-les faire. Prouvons nous, que nous avons un sens plus élevé de la morale et de la bonne tenue. En dépit de la chaleur, revêtons la robe blanche et le long pantalon , les parties seront aussi brillantes et les performances aussi étonnantes(6). »

Le vêtement raccourcit

Pourtant, la résistance se manifeste par l'intermédiaire d'une des principales têtes de série de la région: Lauréat Cantin, multiple champion, à droite dans la photo ci-dessous. Il arrive à la finale de la coupe Rondeau, emblème du championnat senior de Québec, en portant le costume décrié. « Cantin avançait avec assurance portant le court pantalon », note le journaliste qui couvre le match(7).

Lauréat Cantin 1937

(L'Action catholique, 25 août 1937)

À la toute veille de la guerre, le short n'est pas encore admis chez les femmes, mais le jupe a raccourci et arrive près du genou, comme on peut le voir sur la photo des participantes à la coupe Foy, le championnat de simple féminin pour Québec et la région, en 1939.

Joueuses de tennis 1939

(L'Action catholique, 2 juillet 1939)

Pour les hommes, la question semble réglée peu après la fin de la guerre. Une partie d'exhibition entre deux joueurs de la région, Jean Marois et Jean-Paul Turgeon, et les joueurs tchèques Jaroslav Drobny et Vladimir Cernik, se tient le 23 août 1947 au Club des Employés civils. Les quatre joueurs posent sans complexe en pantalon court. Même la très catholique Action publie la photo.

Le short masculin ne fait désormais plus scandale.

 

 

 

(Photo L'Action catholique, 25 août 1947)

Joueurs de tennis en short

La mode féminine et la révolution tranquille

D'ailleurs, la mode en général continue d'évoluer, et les jupes de raccourcir, comme l'illustrent les publicités de vêtements pour femmes durant les années 1950. Ci-dessous, une robe de chez Pollack en 1951 et une autre de la Cie Paquet en 1954.

Robe de tennis 1951

(Le Soleil, 12 juin 1951)

Robe de tennis 1954

(Le Soleil, 2 juin 1954)

 

Les clubs eux-mêmes finissent par ouvrir officiellement la porte au pantalon court. Devant les observations du groupement de moralité de Saint-Pascal de Maizerets en 1955, les joueuses se dédouanent en affirmant que les courts de tennis de l'OTJ (Oeuvre des terrains de jeux) n'acceptent désormais « que les shorts de tennis »(8). Pourtant, l'OTJ , est considérée comme un organisme catholique.

La mode va continuer d'évoluer avec les années 1960 et la jupe va désormais monter au-dessus du genou, à peu près au même niveau que le short honni. Ci-contre, une image de robe de tennis accompagne un article sur les nouvelles carrières pour les femmes, dans Le Soleil du 12 juin 1963. À droite, une publicité de la Cie Paquet fait en 1964 la promotion d'une robe de tennis en tissu Arnel.

 À partir de ce moment, on ne reviendra plus en arrière sur le costume au tennis.

 

Robe de tennis 1963

(Le Soleil, 12 juin 1963)

 

Robe de tennis 1964

(Le Soleil, 3 avril 1964)

Notes

1. L'Action catholique (AC), 9 septembre 1930.
2. AC, 8 juillet 1933.
3. AC,  11 juin 1936.
4. AC, 19 juin 1936
5. AC, 16 octobre 1936
6. AC, 19 juillet 1937
7. AC 25 août 1937
8. Le Soleil, 9 juin 1955

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