Tournoi rotation 1968

Le 31/01/2022 0

Dans Tournois et trophées

Quatrième tournoi rotation : 1968

[Section précédente: Tournoi rotation 1967]

Pour 1968, les organisateurs du tournoi rotation reviennent sur l'idée, avancée par les années passées, d'inviter des joueurs professionnels aussi bien qu'amateurs. La Fédération internationale de tennis vient d'accepter le principe du tournoi « omnium » : Wimbledon et les Internationaux de France sont désormais ouverts aux professionnels. On s'attend même à ce que Roy Emerson, jusque là « le meilleur joueur amateur », signe un contrat professionnel(1). De son côté l'Association canadienne ne s'est toujours pas prononcée sur la question(2)

Finalement, ce sera le statu quo, le tournoi rotation va s'en tenir aux amateurs pour cette année encore. En juin, deux participants sont confirmés : l'espagnol Manuel Santana et le canadien Mike Belkin(3). Début juillet, les organisateurs sont fiers d'annoncer que le groupe des six sera complété par Tom Okker, de Hollande, Ramanathan Krishnan de l'Inde, Nicola Pietrangeli d'Italie et Thomas Koch du Brésil.

L'événement se tiendra du 19 au 24 août et, encore une fois, il ne sera pas exempt de surprises.

Un plateau relevé

Tom Okker, surnommé le « hollandais volant » en raison de sa rapidité, a remporté en début de saison les championnats d'Afrique du sud et d'Italie; il vient de faire sensation à Wimbledon jusqu'à sa défaite en quart-de-finale aux mains de Arthur Ashe. On le voit déjà comme le favori pour parvenir à la finale du tournoi rotation, en compagnie de Santana, l'amateur numéro un mondial(4). Un suspense plane toutefois à propos de sa venue : il a reçu une offre « fabuleuse » de 150 000$ pour joindre les rangs professionnels(5). Encore une fois, François Godbout, qui avait réussi à convaincre Emerson de venir à Québec deux ans auparavant, vient à la rescousse du tournoi. Il a reçu à Wimbledon, de la bouche de l'intéressé, l'assurance que Okker serait présent(6). Celui-ci met d'ailleurs définitivement fin à l'attente en confirmant par lettre sa venue à Québec(7). C'est avec fierté que les Employés civils acceptent sa décision : « [Rod] Laver [qui domine le classement professionnel à ce moment] n'y sera pas, mais nous aurons le seul amateur qui l'ait battu »(8).

Les autres participants ne sont pas en reste. Thomas Koch est le champion du Brésil et un pilier de l'équipe Davis du pays. Celle-ci a surpris en 1966 en battant l'équipe américaine(9). L'indien Krishnan est toujours le joueur numéro un de son pays. « Joueur de terre battue par excellence », il affectionne le jeu de fond et les longs échanges(10). Pietrangeli, un autre spécialiste de la terre battue, est l'orgueil de l'Italie grâce à ses succès en coupe Davis(11).

Tom Okker

Tom Okker, le "hollandais volant"
(Le Soleil, 22 août 1968)

Mike Belkin

Le revers à deux mains du
canadien Mike Belkin
(Le Soleil, 20 août 1968)

Ramanathan Krishnan

Ramanathan Krishnan, champion de l'Inde
(Le Soleil, 20 août 1968

Les organisateurs ont songé « par prudence » et compte tenu des défections éprouvées l'année précédente, à prévoir un septième joueur. Ce sera l'ex-champion des États-Unis Vic Seixas, qui est confirmé début août(12).

On a par ailleurs pris en compte les observations de plusieurs participants des tournois précédents, en particulier ceux de Roy Emerson, selon qui les balles « volaient » trop. Des balles suédoises à court bond seront utilisées cette année(13). On promet qu'elles seront faciles à utiliser, parce que conçues pour  la terre battue, justement la surface du club des Employés civils(14).

En cette quatrième année du tournoi, c'est le temps pour la presse de faire un bilan. Sous le titre « Un tournoi qui a pris un essor étonnant », Le Soleil révèle qu'en 1965 Radio-Canada songeait à enregistrer le tournoi ouvert principal présenté annuellement par le club des Employés civils. Pour emporter l'adhésion du réseau, Jean Marois avait proposé la formule rotation. Avec six vedettes, les parties seraient en principe toutes intéressantes. La formule s'est avérée payante puisque le tournoi a battu des records d'assistance une année après l'autre(15).

Cascade d'imprévus

Avec ces prémisses, le tournoi 1968 promet d'être aussi réussi que les précédents. Mais une fois encore, le club devra compter avec des imprévus. Trois jours avant le début, on essaie sans succès de rejoindre Pietrangeli. Finalement, les organisateurs apprennent par télégramme que le joueur italien est retenu pour des compétitions dans son pays. Il sera donc remplacé par Seixas, que les Employés civils avaient eu la bonne idée de retenir comme substitut(16).

Tout n'est pas réglé pour autant. Santana est retenu à Cleveland à cause d'un match interminable contre Arthur Ashe en coupe Davis(17). « Suspense jusqu'à la fin », écrivait le mardi Claude Larochelle, alors que le tournoi était commencé depuis la veille. C'est que Thomas Koch est injoignable depuis une semaine. Une autre défection et « après l'affaire Pietrangeli, la confiance du public aurait été joliment malmenée et le prestige du tournoi-rotation, si grand soit-il, en aurait pris pour son rhume. » On apprend finalement qu'il est sur un vol en provenance de Londres. Claude Dufresne pousse un soupir de soulagement en le voyant débarquer à l'aéroport en compagnie de Tom Okker. Le tournoi peut-il enfin commencer normalement? Nouvelle tuile, le match Santana-Ashe a été reporté à cause de la pluie. L’espagnol est dans l'impossibilité de jouer contre Koch le lundi comme prévu puisqu'il va rentrer à Québec tard le soir. Tout va finalement rentrer dans l'ordre à partir du mardi, mais « on comprend mieux maintenant pourquoi le Civil entend engager deux joueurs d’urgence, l'an prochain » conclut le chroniqueur(18).

Manuel Santana, 1968

Manuel Santana au filet
(Le Soleil, 22 août 1968)

Foule record aux Employés civils

Une foule record aux Employés civils
pour le match Santana-Okker
(Le Soleil, 23 août 1968)

 

Le tournoi a beau être lancé, son succès révèle en même temps un talon d'Achille : l'accès pour le public. Un sportif s'en est ouvert au journal : « La dernière fois que je me suis montré a ce tournoi, on m'a expédié sur le peu confortable talus au pied de la grande estrade ». Déjà en nombre insuffisant pour l'affluence, des gradins ont été sacrifiés pour faire place aux tours d'éclairage de Radio-Canada. La direction du tournoi avait parlé l'année précédente d'aménager des estrades sur le fameux talus, mais rien n'a été fait; elle est donc invitée à continuer de faire des améliorations(19).

 

À propos du matériel aussi, on reçoit des plaintes. Au lieu des précédentes balles qui « volaient » trop, les balles suédoises choisies pour leur adaptation à la terre battue ne font pas l'unanimité. « C'est comme si on frappait des balles de baseball » dit Vic Seixas(20).

 

Le match le plus attendu arrive enfin le jeudi 22 : Okker contre Santana. Avec 2417 personnes, ce sera le record d'affluence dans l’histoire du tournoi. L'espagnol reçoit une forte ovation après sa victoire en trois manches de 3-6, 6-1 et 6-2. Il commente après la partie : « C'est très bon pour moi et ce fut un très beau match », en donnant toutefois crédit à son adversaire : « Il m'a surpris et il a bien répliqué »(21).

Une fin dans la confusion

Comme pour l'année précédente, le tournoi se termine sur une note négative. Pas à cause de la température, cette fois, mais plutôt de la confusion dans les règles de fonctionnement. Santana a remporté ses cinq parties de la semaine, tandis que Koch est auteur de quatre victoires; sa seule défaite a été subie justement contre Santana. Suivent Okker avec trois victoires, Krishnan deux, Belkin une et Seixas aucune. L'espagnol est donc considéré comme le vainqueur du tournoi par les organisateurs, comme par les années passées. « Manuel Santana décroche son deuxième championnat », titrait Le Soleil sur huit colonnes(22).

Mais voilà, la rencontre du samedi, qui met en présence les meneurs au classement, est présentée comme la « grande finale » et Koch remporte la victoire sur Santana 7-5, 0-6, 6-4. Il y a donc une ambiguïté, que le chroniqueur Claude Larochelle explique par la différence de perception entre les organisateurs du tournoi et les réseaux de télévision - qui prennent de plus en plus de prise sur les événements sportifs :

« La confusion s'cst emparée du public, samedi après-midi, sur les courts des Employés civils, quand Manuel Santana fut déclaré vainqueur du tournoi-rotation... Désarroi dans le public parce que le Brésilien Thomas Koch venait d’éblouir pour la deuxième journée consécutive en battant, dans un style féroce et avec une détermination farouche, Santana dans ce que le programme officiel du tournoi international de tennis décrit comme la 'grande finale'.

Confusion qui vient au fond du facteur de plus en plus omniprésent que le tournoi international de Québec est à la remorque des réseaux anglais et français de Radio-Canada.

 

Thomas Koch

Le brésilien Thomas Koch
(Le Soleil, 24 août 1968)

La direction du tournoi-rotation décrète que le champion de Québec est celui qui sort vainqueur d’une série de cinq matches qui se terminent le vendredi soir. Dans ce cas, c'est Manuel Santana.

La Société Radio-Canada n’accepte pas, pour sa part, ce vainqueur. Pour elle, le calendrier de cinq matches que chaque joueur a à disputer jusqu’au vendredi n’est qu’un moyen de faire la sélection des deux meilleurs tennismen pour les jeter l’un contre l’autre dans l’affrontement du samedi. Dans ce cas, c’est Thomas Koch qui est le grand champion. Ce n’est pas le champion officiel, mais c’est le champion qu’auront à applaudir des centaines de milliers de Canadiens quand ils verront sur le petit écran les images de ce tournoi à l'automne(23). »

 

Un tournoi qui s'essouffle?

Malgré ses succès, le tournoi serait-il en train de s’essouffler? En dépit d'une assistance record le jeudi, les organisateurs avouent une baisse de 1500 entrées par rapport à l'année précédente. Claude Dufresne se livre à un bilan : « Nous ne ferons pas de profit. Il reste à espérer qu'on bouclera... Ce n'est pas un désastre, mais ce n'est certainement pas un succès. »

Le chroniqueur Roland Sabourin tire ses propres conclusions et y va de ses suggestions. Tout en donnant le crédit au travail des organisateurs, il voit d'une part la nécessité de clarifier la question de la finale et d'autre part de faire appel aux professionnels :

« La « note de confusion » avec laquelle s’est terminé le tournoi-rotation de tennis des Employés est regrettable. Cependant, il ne faudrait pas l’interpréter comme une critique envers les organisateurs de cette classique. Ces messieurs ne méritent que des félicitations pour les efforts qu’ils fournissent pour nous amener un tournoi de ce genre...

« Il n'y a aucun doute que nos amis du club de tennis de la Grande-Allée devront repenser leur formule ou tout au moins la rendre plus claire pour les amateurs. D’ailleurs, c'est le premier projet alors qu'ils pensent déjà aux invitations qu’ils entendent faire pour leur tournoi de 1969. La formule « omnium » s'impose, car il est certain que les rangs amateurs perdront de plus en plus leurs grands noms. Elle est nécessaire afin que le tournoi puisse garder le prestige qu’il a pu acquérir depuis 1965.

« Que le vrai champion soit décidé par le tournoi-rotation lui-même ou la grande finale du samedi, ça importe peu. Tout ce que le public désire est que le tout soit précisé à l'avance. Cependant, si les amateurs eux-mêmes avaient leur mot a dire, nous croyons qu’ils opteraient pour le match additionnel entre les deux meilleurs des cinq premiers jours(24). »

 

Justement, si la formule omnium semble s'imposer, elle comporte aussi des risques. Ces nouveaux participants vont hausser les dépenses du tournoi de 4000$, ce qui pourrait remettre en question sa survie même(25) . Nous verrons dans une prochaine chronique comment les organisateurs ont réussi la quadrature du cercle en 1969.

[Section suivante: Le tournoi rotation 1969]

NOTES

1. Le Soleil (LS), 1er avril 1968.
2. LS, 3 avril 1968.
3. LS, 22 juin 1968.
4. LS, 3 juillet 1968.
5. LS, 5 juillet 1968.
6. LS, 6 juillet 1968.
7. LS, 16 juillet 1968.
8. LS, 25 juillet 1968.
9. LS, Ibid.
10. LS, LS, 2 août 1968.
11. LS, 6 août 1968.
12. LS, 3 août 1968.
13. LS, 18 juillet 1968.

14. LS, 10 août 1968.
15. LS, 15 août 1968.
16. LS, 16 août 1968.
17. LS, 19 août 1968.
18. LS, 20 août 1968.
19. LS, 21 août 1968.
20. LS, 22 août 1968.
21. LS, 23 août 1968.
22. LS, 24 août 1968.
23. À l'époque, les prises de vue du tournoi n'étaient pas diffusées en direct. Elles étaient réservées pour compléter la programmation d'automne, la saison « active » de la télévision. 
24. LS, 28 août 1968.
25.  LS, 26 août 1968.

Québec tennis tournoi rotation Employés civils

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