Tournoi rotation 1969

Le 29/04/2022 0

Dans Tournois et trophées

Cinquième tourmoi rotation: une édition en montagnes russes

[Section précédente: Tournoi rotation 1968]

Après quatre années de succès, la préparation du cinquième tournoi rotation, celui de 1969, s'avère des plus laborieuses et ressemble à un parcours en montagnes russes.

La perte du commanditaire principal, la brasserie Dow, est la première tuile qui tombe sur l'événement. Heureusement, le Club des Employés civils s'engage financièrement pour assurer la tenue de celui-ci. Du côté des joueurs, on assistera encore une fois à une valse entre les engagements et les abandons. Le tournoi rassemblera finalement deux australiens, John Alexander et Dick Crealy, le néo-zélandais Brian Fairlie, le sud-africain Bob Hewitt, l'américain Cliff Ritchey et le yougoslave  Zeljko Franulovic.

Tenu du du 29 juillet au 3 août, le tournoi va encore une fois présenter du haut calibre, mais l'essoufflement ressenti en 1968 semble s'accentuer.

« Après l'euphorie et le désespoir »

En novembre 1968, le club des Employés civils semblait assuré de présenter l'année suivante un groupe de premier plan mondial composé entre autres des australiens Rod Laver et Ken Rosewall et des américains Arthur Ashe et Pancho Gonzales. « Une apothéose », jugeait le chroniqueur Claude Larochelle. Pourtant, un retournement de situation a lieu en janvier suivant. Les organisateurs décident d'annuler l'événement en raison des nombreuses difficultés rencontrées(1). Parmi celles-ci, la perte du commanditaire principal. En effet, la brasserie Dow, qui avait jusque là donné son nom au tournoi, retirait sa participation. Cette décision avait probablement à voir avec les difficultés de l'entreprise qui avait connu à partir de 1966 un net recul de ses ventes [voir plus bas « Dow, les hauts et les bas d'une brasserie »].

Nouveau retournement en mai : on annonce que le tournoi est « sauvé» et qu'il aura lieu du 29 juillet au 3 août. Cela ne s'est pas fait sans risques : les Employés civils se sont engagés, faute de commanditaire, à en assumer les possibles pertes financières(2). Ce qui fait dire à certains commentateurs que cette édition pourrait être un « smash » sans retour possible pour l'année suivante(3). Il y a deux raisons à cela. D'abord, la situation du tennis est en profonde évolution : de plus en plus de joueurs passent dans les rangs professionnels depuis que la Fédération internationale a accepté le principe des tournois « omnium » acceptant amateurs comme professionnels. Ensuite, le tournoi de 1968 a réussi à équilibrer tout juste les revenus et les dépenses, ce qui ne laisse pas de ressources supplémentaires pour recruter des professionnels.

Malgré cela, les organisateurs tiennent une conférence d'information le 2 juillet pour donner la liste des joueurs participants. Il y aura Zeljko Franulovic de Yougoslavie, meilleur amateur d'Europe, Cliff Ritchey, le meilleur américain sur terre battue, le semé numéro un de Nouvelle-Zélande, Brian Fairlie, l'australien de 18 ans John Alexander, champion junior à Wimbledon en 1968 et membre de l'équipe Davis de son pays, Francois Jauffret, semé numéro un de France. À eux se joindra l'un ou l'autre de l'anglais Mark Cox ou du sud-africain Bob Hewitt.

Comité tournoi rotation 1969

Le comité d'organisation du tournoi rotation de 1969: 
Jean Marois, vice-président du club des Employés civils, Laurier Descoteaux, président de l'AEC, Gaston Goulet, président du comité organisateur et J-Claude Dufresne secrétaire-publiciste
(Le Soleil, 3 juillet 1963)

Dans son style coloré, Claude Larochelle commente cette cuvée : des joueurs « qui n'ont pas le prestige de certaines vedettes du passé, mais qui sont tout de même de très fort calibre, et qui viendront à Québec pour se défendre impitoyablement sur le court. » Le chroniqueur, qui a intitulé son texte « Après l'euphorie et le désespoir », se permet même une prédiction : « Le Civil obtiendra avec aisance les 10 000 spectateurs nécessaires et bouclera facilement son budget de $25,000. »

Toujours dans le but de continuer à faire grandir le tournoi, les organisateurs ont porté la capacité à 2250 sièges. Au surplus, pour lever l’ambiguïté qui a marqué la fin de l'édition 1968, ils précisent au départ que le vainqueur du tournoi sera désormais déterminé différemment. Au lieu de couronner celui a remporté le plus de parties durant la semaine, on va donner le titre de champion au vainqueur de la finale du dimanche(4).

[À droite: le diminutif néo-zélandais Brian Fairlie, entouré des australiens Alexander et Crealy, à gauche, et du yougoslave Franulovic, à droite. Photo Le Soleil, 29 juillet 1969]

Ls 19690729

Les difficultés commencent

John Alexander

Le jeune australien John Alexander
(Le Soleil, 30 juillet 1969)

Fin juillet, on apprend finalement que Mark Cox ne pourra pas se présenter à Québec. Il est membre de l'équipe Davis d'Angleterre qui a éliminé celle de l'Afrique du sud, dont faisait partie Hewitt. Comme convenu à l'avance, c'est donc ce dernier qui va se présenter à Québec(5). La valse des remplacements ne s'arrête pas là. Deux jours avant le début du tournoi, François Godbout apprend que Jauffret ne peut se libérer d'un engagement au Portugal. Encore une fois, la communication s'est faite de façon rocambolesque. Le français était en communication avec lui durant le tournoi de Wimbledon. Or, c'est de retour à la maison qu'il apprend devoir annuler sa présence à Québec. Il expédie un télégramme à Godbout, toujours à Wimbledon. Sauf que son message ne parvient jamais à ce dernier qui se trouve en Angleterre comme membre de l'équipe de Radio-Canada et non comme joueur participant. Heureusement, Cliff Reachy suggère aux Employés civils le nom de l'australien Dick Crealy, qui accepte au pied levé(6).

Les remplacements, même réalisés à la dernière minute ne sont toutefois pas le principal problème de l'organisation. Il y a plus grave : la vente de billets est allée au ralent(7). Cela va au point où Jean-Claude Dufresne doit lancer une mise en garde : si les gens veulent revoir le tournoi l'an prochain, « ils devront nous en donner la réponse » affirme-t-il(8).

Le joueur à battre : Franulovic

Le tournoi démarre comme prévu le mardi 29 avec Franulovic déclaré comme le « joueur à battre »(9). Mais le retard dans la vente des billets se fait lourdement sentir lors du premier match. Seulement 700 amateurs sont présents pour assister à un début « captivant », selon les journaux. Le président du tournoi Gaston Goulet est du même avis : « C'est l'une de nos meilleures premières journées de tennis depuis cinq ans », confie-t-il. Des trois vainqeurs de la journée, Richey, Franulovic et Hewitt, les deux premiers ont dû revenir de l'arrière après avoir perdu le premier set. Les commentateurs y vont de prédictions et pensent déjà à une finale Hewitt-Franulovic(10).

Justement, une partie de la réponse vient le lendemain puisque les deux y ont rendez-vous. Franulovic ne laisse aucune chance à son adversaire et l'emporte 6-1, 6-3. Hewitt prend la chose au sérieux et conclut : « Je ne suis plus aussi intéressé à retrouver Franulovic devant moi s'il continue à jouer de cette manière ». Quelques commentateur avancent que le yougoslave aurait même pu battre un Manuel Santana. Après cette journée, il partage la tête du classement avec Richey qui a lui aussi remporté ses deux premiers matchs. De son côté, Gaston Goulet pense avoir trouvé la bonne formule pour garder de l'action sur les courts : « l'importance de l'argent », qui motive les joueurs à se dépasser. En fait, chacun est assuré d'un revenu pour la semaine de $1.000. Il peut en outre ajouter $300 par victoire remportée dans le calendrier de cinq matches. Enfin, le vainqueur de la grande finale de dimanche empochera $900. Soit en tout et partout, un maximum possible de $3.400. Ces chiffres peuvent paraître dérisoires en regard des bourses millionnaires qui sont distribuées dans le tennis professionnel des années 2000. Mais il faut se rappeler que ce tournoi accueille des joueurs amateurs, et que ces montants ne sont pas négligeables en dollars de l'époque. À preuve une réflexion lancée durant le tournoi par un personnage bien connu des milieux sportifs de Québec, Bob Chevalier : « Pour $300, je mangerais les galons(11). »

Zeljiko Franulovic

Le yougoslave Zeljiko Franulovic
(Le Soleil, 31 juillet 1969)

Trois participants en pleine action

Cliff Richey

Cliff Richey
(Le Soleil, 1er août 1969)

Bob Hewitt

Bob Hewitt
(Le Soleil, 2 août 1969)

 

Brian Fairlie

Brian Fairlie, à gauche
(Le Soleil, 2 août 1969)

Comme prévu : Hewitt vs Franulovic

Bob Hewitt et la coupe Rotation

Le lendemain jeudi, Richey et Franulovic poursuivent leur marche victorieuse. Malgré tout, dans sa défaite contre l'américain, le jeune australien Alexander démontre des qualités prometteuses en poussant celui-ci dans ses derniers retranchements au premier set, qui se termine 11-9 en faveur de Richey. Hewitt, de son côté, réussit à rester dans la course grâce à une victoire sur Fairlie(12).

Les choses se précisent dans la journée du vendredi alors que Franulovic demeure le seul invaincu en battant Richey dans une partie elle aussi chaudement disputée : 11-9, 6-3. Il est donc qualifié pour la finale. Hewitt réussit encore une fois à sauver sa mise : il comble un retard de deux parties au premier set pour l'emporter 7-5, 6-2 sur Crealy. Richey et lui, maintenant à égalité dans le classement, vont batailler pour une participation à la finale le lendemain(13).

Ce sera finalement une rencontre Hewitt-Franulovic à la suite de la victoire en trois sets du sud-africain sur Richey samedi. Dans un match au meilleur de cinq parties, interrompu par la pluie, Hewitt démontre que « Franulovic n'est pas encore un Santana », comme le dit le titre du Soleil. Il l'emporte en quatre manches de 6-3, 3-6, 6-2 et 8-6. C'est une revanche pour lui qui a été défait dans leurs deux premiers affrontements, d'abord à Paris, puis dans la deuxième journée de ce tournoi. D'autre part, il a durant toute la semaine fait grandement honneur à sa réputation de mauvais garnement en expédiant des balles un peu partout, en jetant sa raquette et même en montrant le poing à un juge de ligne... qui lui a rendu la pareille.

[À gauche: Bob Hewitt avec la coupe du vainqueur. Photo Le Soleil, 4 août 1969]

Le temps des bilans

C'est maintenant le temps des bilans pour les organisateurs. Malgré un niveau de jeu intéressant, les assistances ont chuté de 50% par rapport à 1968 : 4500 au lieu des 10 000 attendus. Gaston Goulet précise que l'équipe ne baisse pas les bras : « Nous ne lâcherons pas mais le tournoi sera organisé sous d'autres structures qu'actuellement. » En effet, l'Association des Employés civils ne pourra se permettre d'éponger encore une fois un déficit de 5000$. Alors que l'édition de 1969 a failli connaître « un enterrement de première classe », on pourrait réaliser l'édition de 1970 en trouvant un commanditaire, en revoyant la formule de négociation avec les joueurs et en adoptant le formule « omnium » avec trois professionnels et trois amateurs.

Mais pour obtenir la sanction « omnium » de la Fédérale internationale de tennis, il faut, selon le nouveau règlement, offrir un total de 15 000$ en bourses. Les organisateurs se disent prêts à faire passer le total actuel de 14 000$ à 15 000$ ou même 18 000$, à condition bien sûr que de grands noms figurent parmi les participants. De conclure le chroniqueur : « Le prestige mondial du tournoi-rotation est tel que l’objectif n'est pas hors de portée(14) ». Nous verrons dans un prochain texte s'ils réussiront leur pari.

 

[Prochaine section: La fin du rotation: 1970]

 
 

Dow : les hauts et les bas d'une brasserie

 

Dans les années 1960, la brasserie Dow, qui opérait sous ce nom depuis 1834, était une des principales au Québec avec 51% des parts de marché. Dans la seule la région de Québec, elle représentait 85% des ventes. Elle a fait construire le Planétarium Dow en vue de l'Expo 1967 et commandite « L'heure des quilles » à la télévision.

Toutefois, entre août 1965 et avril 1966, 48 personnes se présentent dans les hôpitaux de Québec avec des troubles cardiaques. Vingt d'entre elles vont en décéder. La plupart sont de gros buveurs de bière. Les manchettes des journaux font le lien entre ces cas et le sulfate de cobalt utilisé par la brasserie pour donner un aspect mousseux à la bière. À mesure que la nouvelle se répand, Dow perd presque toutes ses parts de marché au Québec.

Même si une enquête officielle ne trouve pas de rapport direct entre cette bière et les décès, Dow ne retrouvera jamais sa place dans le marché. Elle sera absorbée par Carling-O'Keefe en 1967.

 

(Source : Wikipedia: Brasserie Dow)

 

[À droite: publicité de la brasserie avec son slogan bien connu "Dites donc Dow"
Le Soleil, 29 juillet 1964]

Publicité Dow 1967

 

 

NOTES

1. Le Soleil (LS), 3 juillet 1969.
2. LS, 3 mai 1969.
3. LS, 8 mai 1969.
4. LS, 3 juillet 1969.
5. LS, 23 juillet 1969.
6. LS, 28 juillet 1969.
7. LS, 26 juillet 1969.

8. LS, 28 juillet 1969.
9. LS, 29 juillet 1969.
10. LS, 30 juillet 1969.
11. LS, 31 juillet 1969.
12. LS, 1er août 1969.
13. LS, 2 août 1969.
14. LS, 4 août 1969.

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