La coupe Francoeur

Au début de juillet 1930, un journaliste de L'Action catholique apprend « au cours d'une conversation » avec Henri Coulombe, un responsable du Quebec Lawn Tennis Club, la mise en place d'un nouveau tournoi. En effet, un championnat double mixte pour la ville et le district se tiendra à la fin du mois au club de la Grande-Allée⁽¹⁾.

Le projet suscite rapidement de l'intérêt. Alors qu'ils tiennent leur championnat mixte, les administrateurs du Jacques-Cartier se préoccupent d'identifier de bonnes équipes parmi leurs membres, afin de les déléguer à de ce nouveau tournoi⁽²⁾.

Les choses se précisent en cours de route. Le tournoi commencera effectivement le 4 août. Les inscriptions se font auprès de George Donahue, au coût de 3$ par équipe, jusqu'au vendredi 1er⁽³⁾. La période d'inscriptions est cependant prolongée jusqu'au 4 août⁽⁴⁾. Le tirage se fait le soir même, et on y apprend que les meilleures équipes de cinq clubs sont inscrites : Québec,  Jacques-Cartier, Boischatel, Garrison et St-Patrick⁽⁵⁾.

Le tournoi démarre le mardi 5 août. Pas moins de 16 équipes sont sur les rangs⁽⁶⁾. Comme pour les autres tournois régionaux, une coupe va devenir l’emblème du nouveau championnat. Cette fois, le donateur est J. N. Francoeur, le président du club Québec⁽⁷⁾.

Joseph-Napoléon Francoeur est un homme bien en vue au Parlement de Québec. Né en 1880 à Cap-Saint-Ignace, il a embrassé la profession d'avocat avant d'entrer en politique. Élu député libéral de Lotbinière en 1908, il agira comme orateur (on dit aujourd'hui président) de l'Assemblée législative de 1919 à 1928. Depuis juin 1930, il est ministre des Travaux publics et fera partie du cabinet jusqu'à la défaite du gouvernement Taschereau en 1936⁽⁸⁾. En marge de la politique, il s'intéresse aux sports. En 1923, il a été élu président du Quebec Squash Club et il est président du Quebec Lawn Tennis Club depuis 1925⁽⁹⁾.

J.-N. Francoeur vers 1910.
Collection BANQ.

Photo prise durant la finale. On voit sur les remparts plusieurs spectateurs qui ont trouvé des places (gratuites?) pour regarder le match. (Le Soleil, 14 août 1930)

En dépit de retards et reports dus au mauvais temps, le tournoi maintient l’intérêt. « Le tennis ne pourra que devenir plus populaire à Québec à la suite des brillantes parties qui se jouent quotidiennement », rapporte un journaliste⁽¹⁰⁾. Les semi-finales qui devaient se jouer le samedi 9 sont reportées au mardi 12, et la finale peut être enfin présentée le mercredi 13. Celle-ci met aux prises deux équipes du club Québec : le couple Lancaster contre Mme C.-J. Simard et Alfred Matte⁽¹¹⁾.

Ces équipes ne sont pas en finale par hasard. Les quatre joueurs sont membres du Québec depuis plusieurs années. Mme Simard, par exemple, est une joueuse de premier plan à Québec. Elle a remporté la coupe Foy (championnat régional simple féminin) en 1924 et va remettre la main sur ce trophée un mois après cette première finale Francoeur⁽¹²⁾. Elle a aussi représenté Québec à plusieurs éditions des championnats provinciaux et atteint la finale en double féminin en 1928, en équipe avec Angéline Lemieux-Beaupré⁽¹³⁾. De son côté, Lancaster a remporté en 1927, en équipe avec Henri Coulombe, la première édition de la coupe Château, emblème du championnat régional double masculin⁽¹⁴⁾.

D'autre part, on peut encore une fois voir à travers ces deux équipes le profil socio-économique confortable d'une bonne partie des amateurs de tennis de l'époque. Herbert Lancaster est identifié simplement, dans l'Annuaire Marcotte de l'année, comme un « gentleman », qui habite le Château Saint-Louis. De son côté, Alfred Matte est un notaire et Mme Simard l'épouse du sous-secrétaire et « député registraire » de la province⁽¹⁵⁾. C.-Jos. Simard est lui-même adepte du tennis et compte parmi les directeurs du QLTC depuis plusieurs années⁽¹⁶⁾.

Finalement, l'équipe Simard-Matte l'emporte sur le couple Lancaster par deux manches au pointage identique de 7-5, même si ces derniers avaient pris l'avance à chaque reprise. Le journaliste décrit ainsi l'atmosphère de la partie : 

« Les quelques centaines de spectateurs qui avaient pris place aux abords du court dans l'espoir de voir un match captivant n'ont pas été déçus et du commencement à la fin les deux équipes ont joué la plus intéressante  et la plus contestée des parties de la série. Les vainqueurs et leurs adversaires durent déployer toutes leurs connaissances tant aux abords du net [sic] que sur les lignes de fond pour riposter aux coups les uns des autres et ni d'un côté ni de l'autre, semblait-il, l'on ne voulait prendre de chance. »

Cette première édition de la coupe Francoeur inaugure encore une fois une longue tradition. Comme les autres championnats « Québec-district », celui-ci a plusieurs belles décennies devant lui. En fait, il sera à l'affiche jusque dans les années 1990.

Les finalistes de la première coupe Francoeur: Mme C.-J. Simard et Alfred Matte (champions) et le couple Lancaster.

(Le Soleil, 14 août 1930)

[Voir aussi dans les championnats « Québec-district » : les coupes Rondeau, Château, Foy et MacLoughlin]

1. L'Action catholique (AC), 4 juillet 1930.
2. AC, 23 juillet 1930.
3. AC, 26 juillet 1930.
4. AC, 1er août 1930.
5. AC, 4 août 1930.
6. AC, 5 août 1930; en bout de ligne, il y aura au moins 18 équipes puisque de nouveaux noms sont apparus dans le programme des parties publié le 6 août.
7. AC, 6 août 1930.
8. Les notes biographiques sur J.-N. Francoeur proviennent du site de l'Assemblée nationale.

9. Quebec Chronicle, 15 octobre 1923 et L'Événement (EV), 8 mai 1925.
10. AC, 9 août 1930.
11. AC, 12 et 13 août 1930.
12. EV, 27 septembre 1924 et AC, 17 septembre 1930.
13. AC, 3 juillet 1928.
14. AC, 26 septembre 1927.
15. Annuaire Marcotte, 1930-1931.
16. Voir par exemple ÉV, 8 mai 1925, AC, 26 avril 1930.

Accueil

Haut de la page